Culture à Nantes ? Eléments à verser au débat :
Pour leur "travaux personnels encadrés", des lycéens nantais m'ont posé
trois questions écrites sur l'évolution de la culture à Nantes depuis
30 ans. J'ai improvisé ceci :
***
> QUESTION 1- "La
culture à Nantes a beaucoup évolué depuis une trentaine d'années. Qui
sont, selon vous, les principaux acteurs de cette politique culturelle
?"
La logique aurait voulu qu'on commence par la question 2 (stratégies culturelles) avant de parler des personnes acteurs.
Mais allons-y.
On peut repérer comme acteurs de la vie culturelle nantaise : des 1/
institutions publiques (mairie et associations para-municipales,
département, région, DRAC),
car la culture est d'abord à notre époque une affaire subventionnée par la rente fiscale locale décentralisée,
et donc des
2/ personnes physiques qui se sont trouvées à la tête de ces institutions locales (...).
Mais permettez-moi de désigner comme premier acteur culturel, chaque fois que Nantes s'est montrée novatrice,
3/le public, et l'ensemble de la population, qui "ont joué le jeu" plus
qu'ailleurs, accompagnant avec gourmandise, ferveur et bonne volonté
les propositions les plus originales, les plus festives et les plus
exigeantes, et sans qui rien n'aurait été possible.
***
> QUESTION 2 - "Comment caractériseriez-vous les stratégies culturelles de la ville de Nantes ?"
La ville de Nantes a été particulièrement bon élève d'une stratégie qui
n'est pas très originale et qui a touché toutes les villes et régions
françaises à cette période, avec des fortunes diverses.
Il
s'agissait, au moment du tournant de la désindustrialisation ordonnée
par la Commission européenne pour favoriser les importations chinoises
et la soumission consentie des démocraties européennes au déclin social,
et donc en plein deuil de la mémoire de ces industries sacrifiées (à
Nantes, notamment les chantiers navals et leur attachement sensible et
sentimental à une culture portuaire et fluvio-maritime)
de donner une compensation idéologique aux villes sacrifiées, un "supplément d'âme" culturel en quelque sorte,
et de les insérer dans une stratégie de concurrence entre villes et
territoires, pour désigner qui aurait la meilleure "image" médiatique.
Dans cette concurrence, Nantes s'est révélée particulièrement
excellente durant les années 1990, avec la Folle journée, les parades de
théâtre de rue de Royal de Luxe, mais surtout le festival Les Allumées
(six ans, six nuits, six villes, de 1990 à 1995).
Si l'on veut
chercher une césure, une rupture dans cette période dorée, il est permis
de la placer lors de la dernière édition des Allumées, en octobre 1995,
d'ailleurs annulée : Avant cette période, le festival Les Allumées se
caractérise, très exceptionnellement en France et en Europe par une
ferveur participative du public local, qui n'hésite à pas s'investir
dans la création spontanée d'un "off" multiforme, dans les cafés,
commerces, écoles, associations, espaces publics. Un phénomène social
total qui n'a pas été encore suffisamment analysé à mon avis. Mais il
est interrompu artificiellement par le donneur d'ordre politique.
Après 1995, cet élan est brisé net, et la magie ne reviendra jamais, ni
avec les succédanés festivals "Trafics" et "Fin de siècle" et encore
moins avec les biennales d'art contemporains "Estuaire", qui ont renoncé
au spectacle vivant, et se dédient à une logique purement utilitariste
de conquête de parts de marché touristique, qui d'ailleurs ne marche pas
vraiment.
***
> QUESTION 3- "Quels sont, selon vous, ses principaux défauts ?"
Tout dépend du point de vue ! Celui des décideurs ? celui des artistes
précarisés ? celui du public ? celui de l'intérêt général ? celui de
l'éducation populaire ?
Cette stratégie ne comporte absolument
aucun défaut, si l'on est du côté des puissants, si l'on s'accommode de
la "gentrification" (quand les hautes classes moyennes privilégiées
prennent la place territoriale et symbolique des milieux populaires, eux
mêmes chassés de la ville vers la périphérie), s'il fallait
marchandiser une bonne fois pour toute la culture, la plier aux
impératifs consuméristes, éteindre les questionnements artistiques,
notamment ceux qui ont été posés par le théâtre et la scène musicale
indépendante après 1968, et domestiquer les artistes sous le poids des
managers, pudiquement désignés comme "programmateurs", bras armés des
baronnies locales.
C'est donc une "succes story" sans défaut
que cette politique culturelle nantaise depuis 30 ans, même s'il est
permis de déplorer la perte du sens, l'option préférentielle pour les
effets gratuits et parfois complaisants ou sordides, l'homogénéité
croissante du discours "culturel" avec celui du football professionnel,
et l'abandon des grandes questions qui se posent à l'humain et au geste
artistique depuis Lascaux : l'amour désintéressé, le désir nu, la poésie
indomptée, la révolte, l'absolu, le partage, la création collective.
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