Est-il
encore permis de critiquer Royal de Luxe ?
Nous,
ça ne nous viendra jamais à l'idée, bien entendu.
Mais
mettez-vous à la place d'un prof de français qui voudrait organiser
pour ses élèves un débat argumentatif sur le thème des spectacles
de Royal de luxe à partir de deux articles de presse donnant des
points de vue diversifiés.
Devinez
son désarroi : depuis que la célèbre troupe de théâtre de
rue est arrivée en pays nantais il y a près de 30 ans, on n'a
toujours lu dans la presse locale que des articles tous semblables
dans la louange la plus enthousiaste et jamais l'ombre d'une
réticence, de la moindre réserve, pas même en bas de page dans un
courrier des lecteurs.
Quand
on prétend que les Gaulois sont un peuple râleur, et que les Nantais
cultivaient jadis une réputation de frondeurs anarchos-situationnistes !
Et
puis devinez l'embarras d'un politologue local qui voudrait expliquer
la supériorité de la démocratie libérale sur le totalitarisme, et
à qui l'on opposerait l'unaninisme de fer qui entoure certains
dispositifs médiatiques subventionnés, comme Royal !
À
ces mauvaises langues, nous pouvons dire qu'après de très
minutieuses recherches portant sur trois décennies, nous avons enfin
retrouvé un article, un seul, exprimant un regard critique sur notre
glorieuse troupe nationale de marionnettes géantes.
Un
seul article, paru discrètement en plein été il y a quatre ans,
sous le titre « Du Carnaval à Royal de Luxe », dans la
revue Place publique, n°22 de juillet-août 2010, sous la signature
de Marc Grangiens, documentariste nantais qui a enseigné les métiers
du cinéma et de la télévision.
Et
que dit cet iconoclaste observateur (encore un jaloux) ? Extraits
choisis.
« (…)
Le régime culturel auquel nous sommes conviés s'est emparé de la
rue, l'a investie pour en faire une de ses scènes, réjouissante,
divertissante et spectaculaire. Son mode « culturel »
fonctionne sur un idéal de rassemblement et un modèle
consensualiste, non conflictuel (…). »
« (…)
Mais existe aussi le regret de l'impertinence ébouriffante et
jubilatoire de La Véritable Histoire de France, de Cargo 92 ou Des
petits contes nègres, titre provisoire. Peut-être parce que je
ressens trop la répétition, la posture consumériste qui devient
aussi la mienne, et, devant cette nouvelle liturgie spectaculaire,
une aseptisation culturelle de la fête, soluble dans la culture, où
la vie n'a pas de prise. »
« (…)
Ou/et s'agit-il d'un de ces objets de ce qu'on appelle la
« culture mainstream », ce qui peut être connoté
positivement, au sens de « culture pour tous » ou plus
négativement, au sens de « culture hégémonique qui doit
plaire à tout le monde, dans une uniformisation globale du goût
(13) »
(Note 13 : Frédéric Martel, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010).
(Note 13 : Frédéric Martel, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010).
« Le
philosophe Alain Brossat interroge, dans des termes qui empruntent,
dit-il, à Michel Foucault, cette dilatation « sans limite »
de la sphère culturelle qui occupe nos espace et notre temps
collectifs. »
« (…)
Il voit dans la « suprématie contemporaine » du régime
culturel (…) « comme un mode organisateur général de la vie
en commun », qui prend le relais des dispositifs politiques
désactivés et relègue dans un rôle subsidiaire ce qui est au cœur
de la vie politique : la délibération, la conflictualité des
positions, le heurt des opinions et leur agissement dans l'espace
public. » (…) « Elle agrège sans fin » dans un
déni de la division, selon le principe « de l'inclusion, de
l'indifférenciation pour rendre compatibles et équivalentes toutes
les différences et hétérogénéités », toutes les
altérités. »
« (…)
Remarquons que les regroupements festifs qui voudraient échapper à
sa tutelle – free parties, raves, ou même, moins transgressifs,
les apéros géants restent sans réponse et butent sur un double
discours qui promeut la jeunesse mais réprime l'expression de son
état. La fête y devient un conformisme de masse comme si la réalité
de la vie se jouait là, faute de se jouer dans la vie collective,
l'engagement ou le travail ».
« (…)
Alain Brossat (…) souligne fortement les effets de
l'indifférenciation (…). Il souligne aussi dans ce rassemblement,
ce qui peut paraître redoutable, « la coagulation des
affects », la synchronisation des émotions, qui accompagnent
la standardisaion des opinions (...) ».
Et
il y en cinq pages comme cela ! Quel mal embouché, et
qu'aurait-il dit ce pisse-vinaigre, après l'effet Le Pen aux
dernières européennes ?
Quand
on pense que le système Ayrault de Jean-Marc Ayrault a mis près de
trente ans pour qu'on ne lise plus jamais de genre prose acide dans
sa bonne ville, et qu'on la retrouve dans une revue savante qu'il a
couvée !
Mais on apprécie quand la grand-mère a pris en compte l'histoire et la sociologie de Nantes, en allant aux Dervallières, et puis en racontant au public des histoires relatives à la traite esclavagiste, aux comblements des cours de l'Erdre et de la Loire, etc...
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